La communication est au cœur de l'acroyoga. Si l'on passe beaucoup de temps à s'entraîner pour acquérir les capacités techniques nécessaires, on s'attarde rarement sur les qualités personnelles qui sont pourtant d'une égale importance. Cet article présente 10 bonnes pratiques sur la manière de communiquer entre acroyogis, afin d'optimiser ses échanges lors de jams ou d'entraînements.
FABRICE PIÑOL
Je crois que la première fois que j'ai abordé le thème de la communication en acro, c'était avec Lux lors de sa venue à Evian en 2019. Le but était de comprendre comment fonctionne la communication entre deux profs qui donnent un workshop d'une part, et de comment s'entraîner avec un partenaire régulier pour progresser, d'autre part. Bien que c'était très spécifique, certains éléments peuvent être repris lors d'une pratique sociale. Ce sont des souvenirs de cette interaction, certains conseils lors de stages internationaux, des idées tirées de ma pratique personnelle, ainsi que mes cours de communication générale suivi à la HEIG-VD que je souhaite partager ici.
1. Vocabulaire
Être clair dans sa communication est essentiel. Afin de se comprendre, il est important de parler le même langage. Chaque discipline a ses mots spécifiques qui permettent d'exprimer des points clés de manière précise sans devoir se lancer dans des explications qui pourraient être mal interprétées. L'acroyoga ne fait pas exception. Il est donc important de connaître le vocabulaire technique nécessaire, ainsi que le nom officiel des postures, afin de partir sur de bonnes bases. Connaître les noms des principales washing machines peut également s'avérer utile.
Lors d'un précédent article, j'ai écrit un petit lexique technique sur les mots les plus courants, disponible ici. Au niveau des figures et transitions, rien de tel que de suivre des cours/workshops. Il existe également des bases de donnée en accès libre sur internet. Je suggère de faire un tour sur le site de Partner Acrobatics (lien ici)
2. Nous sommes un
C'est ce que les experts appellent le "we-talk". Le "nous" est un signe d'empathie et de partenariat.
L'acroyoga est un travail d'équipe: souvent 2 personnes, idéalement 3 intervenants (Base-Flyer-Spotter), parfois plus. Dès lors, il devient intéressant d'utiliser le "nous" à la place du "je" ou du "tu". Megan Robbins, docteur à l'université de Riverside en Californie, a mené une étude impliquant 5'300 participants au sujet du "we-talk". Sa conclusion est que l'utilisation du "nous" crée une relation interdépendante entre les personnes, alors que le "je" crée une mentalité très égoïste et ne capte pas autant l'attention.
Par exemple, mieux vaut dire "nous luttons, parce que nos bras s'écartent dans le H2H", plutôt que "tu me pousses les bras vers l'extérieur". Le nous renforce cet aspect communautaire et diminue l'aspect critique. Il aide à trouver des solutions ensemble et permet d'éviter certains conflits. Lorsque quelque chose ne fonctionne pas comme souhaité, c'est nous, même si l'un d'entre nous l'a déjà réussi avec d'autres personnes.
L'utilisation de la première personne du pluriel nous force de manière inconsciente à éliminer bon nombre de mots toxiques, car elle nous implique dans la discussion.
Mais vous savez quoi? Quand tout marche parfaitement bien, c'est aussi grâce à nous.
3. Les besoins
Parfois, on sent que notre partenaire pourrait faire quelque chose de différent, afin de fluidifier un mouvement ou de réussir quelque chose qui ne passerait pas encore. Donner des ordres est très directif et ne favorise pas le travail d'équipe. Il en va de même pour les critiques.
A la place, Lux recommande d'exprimer ses besoins. Votre partenaire veut vous aider, mais pour se faire, il doit savoir comment. Simplement dire ce qu'il nous manque pour bien faire est la meilleure façon de créer une réaction et de progresser ensemble.
Par exemple, mieux vaut dire "je n'arrive pas à enlever ma jambe droite, parce que j'ai beaucoup de poids dessus. J'aurais besoin d'avoir plus de poids sur ma jambe gauche. Est-ce que ce serait possible?" plutôt que "décale ton poids sur l'autre jambe", qui serait beaucoup plus agressif ou pire "fais quelque chose, je n'arrive pas à enlever ma jambe!". De plus, en exprimant ses besoins, il se peut que le partenaire trouve une autre solution, plus simple à exécuter pour lui. Peut-être que sa réponse sera: "Non, je n'arrive pas à décaler mon poids sur la gauche, mais je peux mettre plus de poids dans les bras pour libérer ma jambe droite."
4. Être à l'écoute
Si notre partenaire n'est pas en mesure de deviner nos besoins, l'inverse est également vrai: on ne sait pas ce qui lui pose problème ou ce qui pourrait être amélioré selon lui. Il est donc important de lui laisser la liberté de s'exprimer et d'être attentif à ses requêtes.
L'écoute est une partie centrale de la communication. Montrer à son partenaire que l'on est prêt à écouter est crucial et instaure un climat de confiance. Pour ce faire, poser simplement la question "est-ce que tu aurais besoin que je fasse quelque chose différemment?" est simple, clair et permet d'ouvrir l'échange. Il faut bien entendu écouter, donner son feedback et le cas échéant, essayer de mettre en pratique ce qui a été discuté.
Aux deux points précédents vient s'ajouter le principe de réciprocité. Si une question nous a été posée, une bonne pratique consiste à la poser en retour. S'il nous a été demandé ce dont on avait besoin, simplement poser la même question en retour peut amener de nouvelles idées ou simplement compléter la première question. Peut-être que la première réponse était suffisante, mais ça ne coûte rien de demander en retour.
5. Le non verbal
Si l'article s'appuie essentiellement sur le côté vocal, il est important de mentionner aussi l'aspect tactile. Lors de l'exécution de figures, il est souvent beaucoup plus efficace d'allier des contacts ou des pressions. En effet, cela permet d'éviter des erreurs. Par exemple, si les deux mains sont en contact, plutôt que de parler de la main gauche ou la main droite, qui peut être perturbant si le flyer est en inversion ou/et avec les bras croisés, une simple pression dans la main dont on parle est beaucoup plus sûr et compréhensif.
C'est également vrai dans les transitions. De manière générale, on dit que le flyer ne devrait pas transférer son poids tant qu'il n'y a pas le contact avec la base. A l'inverse, si la base donne un contact, cela signifie qu'il est prêt à recevoir le poids. Afin de renforcer la confiance avec le flyer, la base peut (devrait) garder le contact tout au long de la transition, ce qui permet au flyer de savoir exactement où la base se trouve.
On néglige souvent le non verbal, qui permet pourtant de créer un climat de confiance plus élevé et facilite énormément la communication base-flyer. Afin d'entraîner cet aspect, je suggère assez régulièrement aux personnes que je coache de travailler des transitions en fermant les yeux. Il est fortement conseillé d'utiliser un spotter pour cet exercice, spécialement si la base et le flyer jouent à l'aveugle.
6. Les idées se valent
Lorsqu'un problème se présente, plusieurs solutions peuvent être suggérées. Par exemple, la base a trop de poids sur une jambe pour effectuer une transition. On pourrait imaginer que le flyer transfert plus de poids sur les bras ou que la base plie une jambe pour transférer plus de poids d'un côté. Les deux idées sont logiques et pourraient marcher. Il est bien d'essayer une idée à la fois, car si on change plusieurs éléments en même temps, il y a le risque que l'un d'entre eux annihile l'efficacité des autres.
Ceci étant dit, si on essaie de transférer plus de poids sur les mains et que cela fonctionne, il serait bien de refaire l'expérience en pliant la jambe. Il est possible que cela fonctionne aussi. Si c'est le cas, on peut décider lequel est le plus agréable ou imaginer faire un mix des deux. Si l'on ne pratique qu'une seule idée parce qu'elle marche, on prend non seulement le risque de perdre quelque chose de productif, mais également de frustrer celui dont l'idée a été mise de côté.
Ce qui en découle des paragraphes précédents, c'est qu'il faut prendre l'habitude de dire "oui" aux propositions de son partenaire. Même si la personne est moins expérimentée. Les corps étant tous un peu différents, sa solution pourrait fonctionner avec elle, alors qu'elle ne marcherait pas avec la plupart des autres personnes. A l'inverse, si la proposition ne marche pas, elle va certainement en tirer un enseignement.
Cette façon de procéder est particulièrement importante en cas de conflit, afin que toutes les parties prenantes aient pu vérifier leurs théories. Il faut préciser que ce concept ne fonctionne que si l'on veut que son partenaire ait raison. Il faut tester chaque idée de la meilleure façon qui soit, sous peine de fausser le résultat. Le but n'est pas d'avoir raison, mais de trouver ce qui nous convient le mieux.
7. Bla Bla Bla
Certaines personnes aiment avoir un petit débrief après chaque tentative. D'autres préfèrent essayer plusieurs fois avant de prendre le temps de discuter. Il n'y a pas une façon de faire meilleure que l'autre. Il est coutume de dire que si c'est la toute première fois que l'on tente un mouvement, les 2 premiers essais comptent pour beurre.
De mon côté, on forme parfois un groupe de 4 personnes en jam, 2 bases, 2 flyers, pour travailler un icarien en ayant des spots. Généralement, on connaît tous la théorie, le but étant de driller le mouvement. Alors nous pratiquons 3-4 fois le mouvement, puis nous faisons un petit feedback sur ce qui pourrait être amélioré ou affiné. A l'inverse, avec une partenaire seule, nous avons créé une nouvelle washing machine récemment. Pour le mouvement central, une marche sur l'arrière des cuisses, nous avons procédé à de petites discussions comme décrites précédemment après chaque tentative, afin de bien comprendre comment le mouvement se construit techniquement et tenter de prendre tout de suite les bonnes habitudes. Accessoirement, cela permet d'être capable de l'expliquer par la suite.
En résumé, chaque personne peut avoir ses préférences au sujet de quand prendre le temps pour les feedbacks et cela peut même varier d'une situation à une autre. Il n'y a pas une méthode meilleure qu'une autre, mais il est important que le groupe soit sur la même longueur d'onde afin d'éviter les frustrations.
8. Pas encore
"Pas encore", c'est une bête tournure de phrase, mais l'un de mes points préférés de cet article et qui peut faire de petits miracles à moyen terme. L'idée est d'éradiquer le "je n'arrive pas" en le transformant en "je n'y arrive pas encore".
Je ne peux pas tenir les H2H. Je ne peux pas encore tenir les H2H. Cela n'a pas du tout la même consonance, n'est-ce pas?
Les "Je ne peux pas", "Je n'arrive pas" ou encore "ça ne marche/fonctionne pas" déclenchent un stop mental qui nous dit que l'on n'y arrivera jamais. Cela nous pousse à accepter la défaite. "Pas encore" nous mentalise que c'est atteignable, l'échec n'est que temporaire. Si l'on persiste, on y arrivera et cela nous pousse à relever le défi.
Il y a une autre différence assez subtile: dans un cas, nous semblons coincé dans le présent, "ce n'est pas possible". Dans l'autre, nous sommes projetés vers le futur. C'est une vision, un chemin à suivre vers la réussite.
Carol Dweck, professeure à l'université de Standford et auteure de divers livres sur la motivation, a réalisé une étude sur la théorie du "pas encore" appliquée à des étudiants d'un gymnase (high school) de Chicago. Selon elle, le "pas encore" fait sentir aux étudiants qu'ils sont sur une courbe d'apprentissage plutôt que dans une impasse. Il semblerait que cela ait une répercussion directe sur leurs résultats.
9. Quoi, comment
Communiquer clairement sur ce que l'on va faire et la façon de le réaliser sont deux choses très importantes. Certains mouvements peuvent s'avérer effrayants et une personne peut ne pas se sentir en sécurité pour l'exécuter. Ou pour toutes autres raisons, elle ne veut pas le réaliser à ce moment précis ou pas avec cette personne. Si quelqu'un a des doutes, il ne faut pas qu'il hésite à les communiquer. Parfois, ajouter un spotter peut rassurer. Parfois, ce sont certains appuis qui ne nous inspirent pas confiance. Si j'ai bien appris quelque chose de mes années de pratique, c'est que la peur n'est pas quelque chose de logique. Il m'est arrivé d'avoir une partenaire qui n'osait pas réaliser un mouvement. Alors nous l'avons laissé de côté pour le retenter quelques semaines plus tard et finalement le réussir. A l'inverse, il ne faut pas hésiter à refuser de faire quelque chose, si on ne le sent pas. Dans les deux cas, il faut respecter les décisions de son partenaire de jeu.
S'il est important de se sentir à l'aise de pouvoir dire "non", il est parfois compliqué de le recevoir. J'ai écrit tout un article sur le sujet qui sera publié en novembre.
10. Célébrer
Je ne sais pas ce qu'il s'est passé dans le monde, mais il semble que l'on ait oublié l'importance de célébrer nos succès. Dès qu'un objectif a été atteint, une étape importante est franchie. Plutôt que de prendre le temps de la savourer, certains ont tendance à fixer directement de nouveaux objectifs.
N'oubliez pas de marquer vos succès avec votre équipe/partenaire. Tous vos succès. Célébrer la réussite renforce la confiance en soi et booste la motivation. Réussir de nouveaux tricks, que ce soit son premier bird ou les Chinese rolls, tous valent la peine de se congratuler.
L'acroyoga est fun et réussir à se coordonner pour construire des figures à deux est déjà quelque chose d'exceptionnel en soi.
Conclusion
Je ne le répèterai jamais assez: la communication est un thème central en acroyoga. Cet article a partagé 10 conseils ou bonnes pratiques qui ont fait leurs preuves et semblent améliorer son expérience avec les acrobaties. Testez-les et gardez celles qui vous conviennent. N'hésitez pas à partager en commentaire si vous en avez d'autres. Personnellement, je n'utilise pas toujours tous ces points, mais ils me semblent être un bon fil rouge.
Et vous, qu'en pensez-vous? Avez-vous d'autres conseils à partager? N'hésitez pas à commenter cet article et le partager.
Je vous invite à chercher et prendre connaissance des jams, cours et workshops dispensés dans votre région. Mes prochains workshops sont listés ici.
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Play safe
Merci aux relectrices Morane Dewarrat et Séverine Péguiron